L'HIVER
Voila l'été qui fuit et la feuille qui tombe
Pâle et morte sur les gazons.
Le vent du nord mugit, la fleur des champs succombe,
L'écho se tait dans les vallons.
Déjà les bois ont perdu leur feuillage;
Vers la chaumière accourent les troupeaux,
Car ils ont vu l'hiver sur les nuages,
Et le grésil bondir sur les côteaux.
Adieu, charmants oiseaux, habitants des bocages,
Allez vers de plus doux climats.
Puissé-je comme vous fuir le temps des orages,
Et de l'été suivre les pas!...
Mais ils sont loin, — leur suave murmure
A déserté les hameaux de nos bords;
Seul l'autan mêle au deuil de la nature
Dans nos vallons de sauvages accords.
Là-bas, à l'horizon, connue un fantôme immense
L'hiver semble couvrir les cieux;
Le vent devant son front roule avec violence
Les flots épars de ses cheveux;
De longs glaçons pendent à ses paupières;
Dans les airs bat sa robe de frimas;
Le jour pâlit sous ses regards sévères,
Et la tempête enveloppe ses pas.
Sonne, lyre fidèle, à mon âme isolée,
Chante le deuil de nos climats.
Vois de l'orme orgueilleux la tête mutilée
Qui se penche sous les verglas.
Dans l'air glacé, d'un vol lent et sinistre,
Le hibou blanc erre de toits en toits,
Et, de l'hiver officieux ministre.
Il remplit l'air de sa funèbre voix.
Les flots ont disparu; partout la terre blanche
Entoure les sombres forêts;
Du sapin, vers le sol, bas s'incline la branche
Que chargent des frimas épais.
Là, la fumée en rapides nuages
S'élève et fuit au-dessus des hameaux.
Tandis qu'ici de pesants attelages
A petits pas font gémir les côteaux.
Dans le fourneau de fonte, au sein de la chaumière,
Bourdonne l'érable des monts;
Les airs sont obscurcis par la neige légère
Qui glisse et monte en tourbillons;
Et le toit crie, et puis dans la fenêtre
Le grésil vient sans cesse pétiller...
Mais le vent tombe, et sur le toit champêtre
L'astre des nuits se lève et va briller.
En quel autre climat la reine du silence
Montre-t-elle plus de splendeur ?
Que j'aime, ô Canada, la nuit, ta plaine immense
Resplendissante de blancheur!
L'étoile aussi semble embi-aser les ondes;
Comme un géant, l'arbre est seul dans les champs;
Non... pas un bruit dans les forêts profondes;
Le calme est vaste et les cieux rayonnants.
Et peut-être, pourtant, dans cette nuit si belle,
Un voyageur las et glacé.
Égaré sur sa route, et s'arrête et chancelle:
À ses yeux tout semble effacé.
Un doux sommeil, trahissant sa faiblesse,
Vient s'emparer lentement de ses sens,
Sommeil fatal dont la perfide ivresse
Dans le plaisir rompt le fil de ses ans.